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maurice-et-lea.blogspot.com

27 février 2011

Première justification en guise d’épilogue

« Ainsi donc, s’exclama Don Quichotte, l’auteur de mon histoire n’est qu’un ignorant et un bavard qui l’a écrite sans ordre et sans discernement, à la va-comme-je-te-pousse ! Un peu comme ce peintre d’Ubéda qui, lorsqu’on lui demandait ce qu’il proposait de peindre, répondait : “Ce qui viendra sous mon pinceau.” Et s’il peignait un coq, il était si peu ressemblant qu’il lui fallait écrire au-dessous, en lettres gothiques : “Voici un coq.” Je crains que mon histoire n’ait aussi besoin d’un commentaire pour être comprise. »

22 février 2011

De meilleures réponses encore (avant d’en venir à l’épilogue en trois parties) à l’adresse de ceux qui aiment à se mêler de tout

(comme à ceux qui aiment tout comprendre)

— Les enfants, écoutez un peu, j’ai mieux à vous proposer si vous voulez mettre les rieurs de votre côté, ajouta Sara pour en mettre plein la vue à Jerome (sans accents), un jeune homme à peine ébauché malgré un bac + 7, doctorant de surcroît (en philologie a compris Léa, en philosophie a entendu Maurice), et par-dessus le marché bâti comme un fort des halles. « Au cours de la guerre de 1812 (vous changerez la date si vous voulez) son logis finit par être incendié par les soldats anglais (mettez-y le ton, on vous croira), prisonniers sur parole, pendant qu’elle était sortie, et son chat, son chien, ses poules, tout brûla de compagnie. »
Sara, les joues en feu car elle ne fait jamais les choses à moitié, finit par souffler à Maurice et Léa le témoignage à refiler aux assurances qui sont toujours les plus difficiles à convaincre, et plus encore à dérider. Alors autant les embrouiller.
— « Je venais de laisser tomber ma tête sur celui-ci (qui ? ça n’a pas d’importance ici) lorsqu’on sonna au feu, et qu’en chaude hâte, les pompes passèrent par là ; précédées d’une troupe éparse d’hommes et de gamins, moi au premier rang, car j’avais sauté le ruisseau. Nous croyions que c’était très au sud, de l’autre côté des bois, — nous qui ne courrions pas au feu pour la première fois — grange, boutique, ou maison d’habitation, sinon tout ensemble. “C’est la grange à Baker”, cria quelqu’un. “C’est au domaine de Codman”, affirma un autre. Sur quoi de nouvelles étincelles de s’élever au-dessus du bois, comme si le toit s’effondrait, et nous tous de crier : “Concord, à la rescousse !” Des chariots passèrent à bride abattue et sous une charge écrasante, portant, peut-être, entre autres choses, l’agent de la compagnie d’assurances, dont le devoir était d’aller aussi loin que ce fût ; et de temps en temps la cloche de la pompe à incendie tintait derrière, d’un son plus lent et plus assuré, pendant que tout à l’arrière-garde, comme on se le dit à l’oreille plus tard, venaient ceux qui avaient mis le feu et donné l’alarme. »

20 février 2011

Une réponse toute faite pour les petits curieux

— Si on vous pose des questions, si on vous y oblige vraiment, la police, la presse, et tutti quanti, voilà ce que vous répondrez, dit Sara — qui avait emprunté Walden ou la vie dans les bois lors de sa dernière visite en vue d’une cure de solitude, dit-elle, mais elle rencontra Jerome en chemin —, quitte à passer pour irresponsable, autant y aller dans les grandes largeurs, en beauté, et carrément qu’on vous croie fou.
— « Il m’arrivait parfois, dans les après-midi d’hiver, de laisser un bon feu en partant me promener ; et, lorsque je rentrais, trois ou quatre heures plus tard, je le retrouvais encore vif et flambant. Ma maison n’était pas restée vide quoique je m’en fusse allé. On eût dit que j’avais laissé derrière moi quelque joyeux gardien. C’était moi et le Feu qui vivions là ; et généralement mon gardien se montrait fidèle. Un jour, cependant que j’étais en train de fendre du bois, l’idée me vint de jeter un simple coup d’œil à la fenêtre pour voir si la maison n’était pas en feu ; c’est la seule fois que je me rappelle avoir ressenti une inquiétude particulière à ce sujet ; je regardai donc et vis qu’une étincelle avait atteint mon lit, sur quoi j’entrai et l’éteignis au moment où elle venait de faire un trou déjà grand comme la main. »

18 février 2011

Jusqu’à la fin



L’autre, le second livre sauvé, Léa ne lut pas jusqu’à la fin.
« Le vestibule s’emplit de volumes et de volumes. Il a recours à l’échelle. Bientôt, il a atteint le plafond. Il retourne dans sa chambre. Des rayons béants le regardent. Devant le bureau de grandes flammes s’élèvent du tapis. Il va dans la pièce d’à côté de la cuisine et en sort tous les vieux journaux. Il les prend feuille par feuille, les froisse, les roule en boule et les jette dans tous les coins. Il installe l’échelle au milieu de la pièce, là où elle se trouvait auparavant. Il grimpe sur le sixième échelon, surveille le feu et attend. Quand les flammes l’atteignent enfin, il rit à pleine voix, comme il n’avait jamais ri de sa vie. »
Maurice n’aurait jamais voulu de cette fin, d’autant moins que finir n’est pas dans son projet de livre conçu comme l’emblème de la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits, c’est-à-dire, pour beaucoup d’entre eux, qui n’ont pas encore été fini d’écrire, et in fine, qui n’ont jamais été fini d’écrire.

16 février 2011

Au cou de la girafe

Mr Roups, « appelez-moi Irénée », proposa à Maurice et Léa, « et au charmant petit fauve », la chambre d’Alain « parti sous d’autres cieux », « solution hélas toute provisoire chers amis », son hôtel étant frappé d’alignement — « comme on couperait le cou à une girafe vieille de cent quatre-vingt quatre ans, vous imaginez un peu ça, c’est inhumain » leur dit-il en leur offrant un « cordial de son cru dont raffolait votre frère d’ailleurs ».
Léa a sauvé deux livres. Un voyage, d’abord…
— « Mais lorsque tout semble être révolu, lorsque le passé ne se rappelle rien qui soit encore, on reprend tout d’un coup conscience de ce qui nous est le plus proche, seulement tout le reste est passé comme une gigantesque expiration que l’on a essayée et endurée. Il serait inutile de chercher à dépister dans un nouveau grand soupir la vapeur que l’on a soufflée, cela ne fonctionne pas. »
Le son de la voix de Léa n’est pas le même ici qu’au 87 boulevard de la Fraternité. Maurice ne reconnaît pas Léa nimbée dans cet écho importun, indiscret. Néanmoins, il l’écoute mieux que jamais.
— « Tout est calculé avec précision et, à proprement parler, il n’arrive donc rien du tout : les choses ne font que se dérouler. Personne ne pourrait dire comment. Des épisodes en dents de scie se produisent selon des schémas immuables, tristement, mais sans plaintes. Ils atteignent une longueur infinie et se déroulent pourtant d’un seul coup, parce que c’est ainsi qu’on s’est exercé à les vivre. L’abolition du destin est un fait accompli dès que les instructions sont transmises. »

12 février 2011

L’ombre du passé

— « Dans mon récit je serai forcé de glisser rapidement sur une époque où j’aurais tant de plaisir à m’arrêter, si j’avais le pouvoir d’en ressusciter le souvenir. Mais la lumière qui l’animait et qui seule pourrait lui rendre la vie s’est éteinte en moi. Quand je veux retrouver dans mon cœur ce qu’elle y suscitait avec tant de force, peines et bonheur, douces chimères, je frappe en vain un rocher qui offre plus de source vive, le Dieu s’est retiré de moi. Combien différent il m’apparaît aujourd’hui, ce passé ! »

Maurice lit à haute voix. Léa écoute.
Elle n’a pas découvert aujourd’hui le manège de Maurice (il lit en cachette), comme s’il était possible qu’il l’embobinât en dirigeant ses lectures (il croit les devancer), afin de les assembler tel un patchwork, dans un grand tout qui serait ce fameux livre qui n’a pas été encore écrit (mais qui, en quelque sorte, l’est déjà), afin qu’il figurât en figure de proue dans la bibliothèque éponyme.
Maurice lit à haute voix, à douce voix plus précisément. Léa a la grippe. Symptôme parmi d’autres plus pénibles, elle a perdu sa voix.
Si ce n’est elle qui écoute (si elle dort accablée par la fièvre), c’est son ombre.

9 février 2011

Souvenirs d’Italie

Cette Italie d’aquarelle, et ses ciels ambre, azur et roses, est-elle la même que le brouillard interdit à la vue de Maurice et Léa, ou encore celle, trop nette, que Maurice rapporta à Léa de Florence à travers de superbes cartes postales aux ciels ambre, azur ou roses ? Maurice penche pour cette dernière, faute de se souvenir réellement du voyage à Ivrea hormis le blanc qui recouvre et le voyage et le souvenir, ou à cause de ce blanc éblouissant qui recouvrait le paysage autour d’Ivrea, jusqu’à l’effacer de la carte du monde, quand Léa repense à Stendhal, comme le rappelle Sebald qu’elle relit pour ne pas trahir sa pensée.
— Tu te rappelles, Maurice : « Quelques années plus tard, rangeant de vieux papiers, il avait retrouvé une gravure légendée Prospetto d’Ivrea et figurant en tous points le tableau fixé dans sa mémoire. Beyle, dit Sebald, avait été contraint de reconnaître que la gravure et le souvenir ne faisait plus qu’un dans son esprit, au point de ne plus savoir lequel avait influencé l’autre. »
— Je me rappelle parce que tu me le rappelles.

Maurice doit-il l’interpréter comme un reproche fait à la gravure, comme à la carte postale florentine, de remporter un match gagné d’avance, celui du souvenir, face à la fragilité de l’impression ressentie sur place, comme celle, au Rijkmuseum, qui le stupéfia devant le blanc qui ceint la porte de La Ruelle de Vermeer que jamais il ne saurait traduire.
En revanche, pour Maurice, Léa, bien que nouvelle chaque jour, est toujours la première qu’il vit un soir au bal.
Pour Léa, Maurice, bien que le même chaque jour, ne cesse de l’étonner.

Que restera-t-il du 87 boulevard de la Fraternité ? Peut-on imaginer que le souvenir des lectures à haute voix de Léa préserveront la forme des lieux comme un paysage se recompose grâce à l’ondoiement de quelques traits de gravure imitant le relief ?

7 février 2011

Des idées en chemin

— Si tu ne devais emporter qu’un seul livre, Maurice ?
Maurice ne répond pas car il ne reconnaît pas Léa dans cette question.
— Je n’ai rien dit, oublie, je n’ai rien dit.
Léa sait que Maurice aimerait emporter avec lui la Bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits. Emporter une idée est le plus léger des viatiques même si, en chemin, on s’aperçoit qu’on en n’est pas l’inventeur.

— « Ses seuls livres étaient un almanach et une arithmétique, en laquelle il était fort expert. Le premier était pour lui une sorte d’encyclopédie, qu’il supposait contenir un résumé de toutes les connaissances humaines (…) »

5 février 2011

Alain, avec panache

Le dernier rire d’Alain inquiéta Léa comme si elle y avait perçu une rechute, un rire secoué, qu’elle entendit grincer comme au premier jour de son retour, jour sans vestige tangible désormais, quand il raviva une querelle antique, voire biblique, avec son frère Maurice. Fausse alerte.
Après quelques digressions autour du livre comme élément de décoration, Alain s’en alla en laissant une enveloppe sur une étagère, près d’Emmanuel Bove, en la signalant d’un « je laisse ça ici au cas où vous en faites ce que vous voulez », dans un gromellement que ni Léa ni Maurice ne distingua.
Et Alain disparut en laissant derrière lui un « à la revoyure les enfants… », claironnant, mélancolique.

Un mois de répit.

3 février 2011

Ivanohéééééé

— « La Bibliothèque, ça s’appelle, dit Terri. Vous n’y êtes pas encore allés, hein ? demanda-t-elle, et Laura et moi secouâmes la tête. C’est vraiment bien. Apparemment, c’est une nouvelle chaîne, mais ça n’a pas l’air d’une chaîne, si vous voyez ce que je veux dire. Figurez-vous qu’il y a des rayonnages avec des vrais livres. On peut feuilleter après dîner et choisir un livre qu’on rapporte la fois suivante, en venant manger. Et la bouffe, vous m’en direz des nouvelles. En ce moment, Herb lit Ivanohé. Il l’a pris quand on y était, la semaine dernière. Il a signé une carte, comme dans une vraie bibliothèque. »

— Peut-être on y trouverait ton Richard Cœur de lion ?
— Ne confonds pas ce concept avec la Bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits.
— Rien n’empêche d’y adjoindre un restaurant, je suis sûre que ça marcherait.
— Eh bien alors voilà la fin de nos ennuis.
Maurice regarde le tapis et Léa le plafond.
— Ça existe déjà plus ou moins dans le coin, un peu plus loin sur le boulevard de la Liberté, dans l’ancienne bibliothèque municipale, il y a un café comme ça, il s’appelle d’ailleurs La Bibliothèque je crois bien, avec des murs entiers remplis de livres.
Maurice et Léa regardent vers la porte. Ristourne y va.
— Ah oui ! Je connais bien, beau décor, mauvaise musique, et tous les livres sont collés. Ha ha ha ha ha !
Alain.

1 février 2011

Variations de tempo


Jusqu’à présent, Léa donnait le tempo de la semaine quand Maurice l’accompagnait de son mieux. Maurice ne menait la danse qu’au sens propre. Léa s’y abandonnait alors.
Quitter le 87 boulevard de la Fraternité avant d’avoir fait le tour de la bibliothèque pousse Léa à en profiter plus que jamais. Elle ne l’exprime que par une légère accélération du tempo de la lecture. Maurice l’a perçu. Il sait qu’il va bientôt falloir s’en aller. La vie dans les bois, quand elle n’est pas choisie, est une punition.

— « Ma résidence était plus favorable, non seulement à la pensée, mais à la lecture sérieuse, qu’une université, et quoique le cabinet de lecture fût en dehors de mon rayon ordinaire de circulation, je me trouvais plus que jamais sous l’influence de ces livres qui circulent autour du monde, et dont les phrases d’abord écrites sur de l’écorce, se voient aujourd’hui simplement copiées de temps à autre sur du papier de chiffon. »