Vous pouvez désormais lire bien plus commodément l’intégralité de Maurice & Léa
en vous rendant à cette nouvelle adresse :
maurice-et-lea.blogspot.com

29 juin 2010

Tête en l’air

Alain a oublié quelque chose (chapeau, parapluie, cheval ?) ou quelqu’un (Joséphine ?). Il grimpe les sept étages sans que ni ses poumons, ni ses mollets, ne s’en affligent. En fidèle coéquipier, Ristourne lui fait la trace et pousse la porte.
Alors.
Alain entend : « Voilà un être singulier, se dit-elle ; il me semble que vais l’aimer. »

27 juin 2010

Alain, à cheval, dans un costume anglais

Après la visite d’Alain à Joséphine — en tout cas ce qui se résume pour l’instant à Joséphine —, après que Léa lui a servi des cookies et du chocolat chaud, alors qu’il se retrouve dans la rue perdu dans ses pensées, sous la pluie — en tout cas le crut-il, comme il se crut à cheval, cintré dans un costume trop anglais —, Léa ouvre au hasard La Chartreuse de Parme.
Le hasard, là comme en d’autres occasions, est bonne fille.
La Chartreuse de Parme n’appartient pas à la bibliothèque du 87 boulevard de la Fraternité dont Maurice et Léa, chacun à sa façon, profitent de l’usufruit.
Léa n’a jamais lâché ce livre depuis que Sara le lui a offert pour ses 16 ans. Elle n’aurait plus besoin de le lire, mais, à l’instar d’un interprète se refusant à jouer par cœur pour rappeler sa dette vis-à-vis du compositeur, elle l’ouvre au hasard, et le livre décide de la page, chaque fois la même tant elle fut sollicitée.
— « La Fausta se mit à la fenêtre, et remarqua facilement un jeune homme fort poli qui, arrêté à cheval au milieu de la rue, la salua d’abord, puis se mit à lui adresser des regards fort peu équivoques. Malgré le costume anglais exagéré adopté par Fabrice, elle eut bientôt reconnu l’auteur des lettres passionnées qui avaient amené son départ de Bologne. Voilà un être singulier, se dit-elle ; il me semble que je vais l’aimer. »

24 juin 2010

Débat autour de la promenade

Sara a toujours l’embarras du choix question promenades, à moins qu’elle embarrasse Maurice et Léa avec le choix qu’elle leur soumet afin de les détourner de leurs jardineries — disons entre Green Garden & Co et Paysage & Jardin Concept, maintenant que Naturalia a épuisé ses charmes — comme elle leur avait proposé le choix entre le côté de Meinkirchen et le côté de chez Wink en se camouflant derrière une lecture quelque peu frelatée.
Ce dimanche, Sara a détourné Maurice et Léa de leur objectif — alors qu’ils ne s’étaient pas encore interrogés sur le choix entre le côté de Green Garden & Co et le côté de Paysage & Jardin Concept, Léa ne pouvant se défaire de sa lecture dévorante bien au-delà du samedi consacré à ce vice impuni, car, à peine l’avait-elle terminée qu’elle la reprenait à son début — pour les entraîner à venir marcher dans la nature.
En chemin, à la première halte précisément, pour reprendre son souffle et regarder alentour, Léa poursuit sa lecture qu’elle avait interrompue à contrecœur car le livre, qui célèbre l’amitié comme jamais l’amitié ne fut célébrée, n’offre pas le moindre interstice pour s’arrêter, reprendre souffle, regarder alentour.
— « S’il y avait des amis chez moi, il faisait des promenades avec mes amis et moi, à contrecœur, mais il les faisait. Moi non plus je n’aime pas les promenades, depuis toujours je ne me promène qu’à contrecœur, c’est toujours à contrecœur que je fais des promenades, mais avec des amis, je fais des promenades, et de telle manière que ces amis s’imaginent que je suis un promeneur passionné, car je me promène toujours de manière si théâtrale qu’ils n’en reviennent pas. Je n’ai absolument rien d’un promeneur, et je ne suis davantage un ami de la nature ni quelqu’un qui connaît la nature. »
Sara, puis Maurice, poursuivent la promenade en faisant semblant d’abandonner Léa.
— « Mais quand des amis sont là, je marche de telle manière qu’il s’imaginent que j’aime me promener, que j’aime la nature et que je connais la nature. Je ne connais absolument pas la nature, et je la déteste, parce qu’elle me tue. »

22 juin 2010

Entre Simon et Martin

Depuis que Maucice lit les livres de Léa, qui ne sont pas vraiment les siens puisqu’ils appartiennent à la bibliothèque du 87 boulevard de la Fraternité depuis que les locataires précédents les ont laisssés en gage pour couvrir leur fuite à l’anglaise — fuite à l’anglaise qui, de toute façon, aurait eu du mal à s’exprimer avec un lest de cent soixante-dix cartons —, sa conscience lui dicte la nécessité de trouver du travail.
Alors il se rappelle le culot de Simon Tanner.
A-t-il valeur de leçon ?
Si oui, ne vaut-elle que pour le métier de libraire ?
Maurice ne veut pas être libraire, il sait combien il faut être costaud de nos jours pour être libraire (un peu moins dans le livre de poche).
Il se rappelle aussi le boulot de forçat de Martin Eden dans la blanchisserie.
Il ne se rappelle pas qu’il fut une époque où il bossa dur, mille petits boulots qui font chic dans une biographie.
Maurice n’a pas de biographie (un biographe ne suffit pas), ni même de CV.
Maurice se verrait plutôt dans les quatre-saisons — son goût pour la couleur. Mais il faut être costaud aussi (un peu moins dans les fruits secs).

20 juin 2010

En quête de sommeil

Léa n’a pas manqué de noter un retournement dans les habitudes nocturnes de Maurice. Quand Léa dort, Maurice essaie de dormir. Comme un voyageur soumis au décalage horaire, il presse le sommeil de l’envahir en usant de savantes manœuvres. Quand ça ne marche pas, Maurice va faire un tour, le temps que la nuit l’effraie suffisamment.

— Schütz,
Rosenmüller,
Erlebach,
Kuhnau,
Biber,
Schmelzer,
Westhoff,
Buxtehude,
Graupner,
Schenk,
Händel,
Telemann,
Heinichen,
Hasse,
Abel,
Keiser,
Schelle,
Fux,
Knüpfer,
Schaffrath,
Mattheson,
Vilsmaier,
Weckmann,
Böhm,
Graun,
Böddecker,
qui sont tous ces Allemands, Maurice ?
— Et encore, Léa, il y manque toutes les générations de Bach, de Johann jusqu’à Johann Christian, au minimum. Je ne dors jamais avant d’avoir énuméré l’ensemble des branches de la famille, et si le sommeil me fuit encore, je les répète sur le mode de la fugue.
Léa ignorait jusqu’à ce jour que Maurice fût musicien, hormis ses aptitudes pour la valse, voire le tango.
Avant d’aimer la musique, Maurice aimait le nom des musiciens.
— C’est aussi ma manière d’aimer l’Allemagne.


17 juin 2010

Patchwork à crédit

Maurice n’a pas dit à Léa qu’il a lu Martin Eden en son absence.
Le paragraphe que Léa lit à haute voix à l’adresse de Maurice, qu’elle croit avoir choisi pour des raisons qui lui appartiennent, des raisons qu’elle ne révèle jamais ni à Maurice ni à personne, pas même à Sara, a en fait été désigné par Maurice.

— « Les semaines passaient, Martin n’avait plus le sou et les chèques des éditeurs se faisaient attendre. Ses anciens manuscrits étaient revenus, puis repartis et son journalisme ne résussissait pas davantage. Ses menus devinrent d’une simplicité de plus en plus rudimentaire. Pendant cinq jours il vécut d’un demi-sac de riz et de quelques kilos de haricots secs. Puis, il tâcha de vivre sur son crédit. L’épicier portugais, jusqu’alors payé comptant, refusa toute avance, lorsque la note de Martin eut atteint la somme énorme de trois dollars quatre-vingt-cinq. »


Maurice est convaincu d’avoir orienté le choix de Léa. Il imagine être en train de composer un livre à partir de tous ces fragments, une espèce de patchwork dont lui seul connaît le motif final, un livre qui deviendrait l’orgueil de la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits. S’il ne l’imagine pas encore, c’est qu’il manque quelques épisodes au feuilleton.

15 juin 2010

Les hameçons américains

Dans la bibliothèque des livres qui n’ont pas encore été écrits, bien modeste pour une pareille destinée, Sara placerait volontiers les livres de Richard Brautigan, bien qu’ils aient été lus, ô combien ! En tout cas, dans la sienne, Sara a rangé les livres de Richard Brautigan à côté de la photographie de ladite bibliothèque* dont la vocation première fut, semblet-t-il, d’abriter des moutons.
Sara choisit une page, après beaucoup de ruses pour appâter Maurice et Léa.
— « Le type qui a écrit le livre, il s’appelait Mike, il avait fait un long voyage dans l’usine oubliée. Cent milles peut-être, et il est resté parti des semaines. Il est allé plus loin que ces pylônes qu’on aperçoit par temps clair. Il affirmait que derrière il y avait des pylônes encore plus haut.
Il écrivait un livre sur ce sujet, son voyage à l’usine oubliée. Ce n’est pas un mauvais livre, il était même bien meilleur que ceux que l’on trouve dans l’usine oubliée. Ce sont de fort mauvais livres. »
Sara amorça un peu plus loin, sûre de tomber sur un « bon coin ».
— « Hier après-midi, en descendant la route depuis Wells Summit, nous sommes tombés sur les moutons. Eux aussi, on les faisait avancer sur la route.
Un berger marchait devant la voiture, une branche feuillue à la main, poussant les moutons sur le bas-côté. Il ressemblait à Adolf Hitler, jeune et maigre, mais avait une bonne tête. »

Maurice imagina Richard Brautigan écrivant un scénario sur Richard Cœur de Lion, s’entichant de la poésie courtoise des troubadours jusqu’à la déchiffrer du limousin d’origine, mais il ne pouvait l’imaginer.

* cf. 19 avril

13 juin 2010

Visite intéressée

Alain revint.
Maurice l’accueillit comme s’il revenait de la maison de morts, sans grandiloquence cependant.
Léa lui servit du chocolat chaud, ainsi qu’il l’avait expressément demandé.
Ristourne ne fut pas avare de compliments.
Joséphine avait un peu vieilli.
Alain revint et leur parla à la manière du conférencier de films d’explorateur.
Léa lui servit des cookies avec le chocolat chaud, ainsi qu’il n’aurait osé en espérer.
Ristourne se confondit avec ses épaules.
Joséphine avait un peu vieilli — ou était-ce seulement le papier qui avait jauni ?



Alain fit allusion à Joséphine.
Où il apprit seulement qu’elle se nommait Joséphine.

11 juin 2010

Talking & Shopping

Maurice est parti à Londres voir l’un des deux portraits de Carl Friedrich Abel que Thomas Gainsborough peignit en échange de leçons de viole de gambe.
À Léa, il a seulement écrit sur un ticket de caisse : je rentrerai dès que j’aurai vu Abel à Londres (il a rayé : que j’aurai parlé avec).
Léa ne s’étonne plus des énigmes de Maurice ou plutôt, à chaque nouvelle énigme, elle s’en étonne d’avantage, libre au lecteur d’être moins attentif, voire de s’en lasser.
Par exemple : Maurice économise-t-il sur l’argent du pain ou puise-t-il dans une fortune personnelle qu’il n’aurait pas avouée à Léa pour ne pas fausser leur relation ?

Léa n’eut pas le loisir (sic) de lire le lapidaire petit mot sur le ticket de caisse. Maurice était rentré de Londres avant qu’elle fût revenue de la zone d’activité économique René-Monory où, après avoir débauché de chez Muti-Tissus, elle fit les courses de la semaine chez le concurrent de Pridami. Elle dut courir pour attraper le dernier tram.
Maurice aurait pu profiter de son voyage à Londres pour voir le portrait de Laurence Sterne par Josuah Reynolds, pensa Léa, comme si Maurice avait oublié quelque chose de vital sur la liste des commissions.

Maurice déteste les musées qu’il compare à des supermarchés qui mettraient les œuvres de l’esprit en concurrence. Il les fréquente par obligation comme celle d’avoir ce tête-à-tête avec Carl Friedrich Abel. Il aurait préféré de loin l’autre portrait, plus avenant, où le compositeur tient la plume, avec son chien sous la table et la viole posée sur la cuisse, mais il n’avait pas le temps d’aller en Amérique avant le retour de Léa.
Il ne rapporta pas de souvenirs à Léa qui est la première à savoir que la reproduction du Gainsborough en carte postale, et davantage encore en poster, risque de se substituer dans le souvenir de Maurice à l’authentique face à face qu’il eut avec Abel — auquel s’est joint Johann Christian Bach, autre familier des lieux, saisi lui aussi par Gainsborough —, à telle enseigne qu’il aurait pu transcrire mot à mot leur conversation.
Quant à la tournée des tavernes de Tottenham qui n’eût pas manqué d’être proposée par les deux compères, Maurice, prétextant un train à prendre impérativement, ne put vérifier leur pérennité après deux siècles tourmentés — si toutefois il était avéré que cet honorable quartier les accueillît jamais.

9 juin 2010

Pensées en poche

Si l’on excepte quelques pensées, un sombre dimanche, qu’ils dispersèrent en cours de chemin, Maurice et Léa repartent toujours de la jardinerie les mains vides — on se promène joliment mieux les mains vides (excluons de cette assertion le bâton de pèlerin pour ne pas engager de polémique). Les mains ont des usages plus savants, surtout le dimanche.
Ce dimanche-ci, Léa s’en retourne avec un livre qu’elle glissa dans la poche de Maurice. Les jardineries développent un rayon librairie qui s’adresse à une population qui ne pratique pas les librairies, sans que ce soit réciproque.
— Tu te souviens de Boudu, quand un client lui réclame Les Fleurs du mal, il répond, bourru, narquois et désinvolte, qu’il n’est pas fleuriste mais libraire.
— Et Michel Simon de braire en traînant sur la dernière syllabe.

Cette fois-ci, Maurice et Léa ne rapportèrent pas d’avantage de washingtonias.

7 juin 2010

Vue (s) sur les washingtonias

— « La bibliohèque donnait sur un long couloir étroit, le boyau de la maison, qui menait à la salle de bains ou à la dépense, à droite, et qui, en continuant tout droit, débouchait sur la cuisine, le garde-manger et la chambre de bonne, communiquant avec la cuisine (s’il y avait bien une chambre, il n’y avait jamais eu de bonne), mais on pouvait également tourner immédiatement à gauche pour gagner le salon, ou poursuivre jusqu’à la deuxième porte à gauche, celle de la magnifique chambre blanche de l’oncle et de la tante, avec son grand miroir en cuivre ciselé, flanqué de deux chandeliers ornementés.
On pouvait donc rejoindre le salon de trois façons : en tournant à gauche à l’entrée ; en traversant la bibliothèque pour ressortir dans le couloir et prendre immédiatement à gauche — c’était l’habitude de mon grand-oncle Yosef, le sabbat, quand il s’en allait présider la longue table noire qui occupait presque toute la salle à manger ; de plus dans un angle de la pièce, un passage voûté menait au petit salon ovale, comme la tour d’un château, dont les fenêtres donnaient sur le jardin de devant, les washingtonias, la rue calme et la maison de M. Agnon sur le trottoir en face. »
— Qu’en dis-tu, Maurice, nous pourrions aller voir demain si on trouve des washingtonias au Naturalia ?
— Ou chez Green Garden & Co.
— Non, allons plutôt essayer la nouvelle enseigne qui vient de s’installer à l’autre bout de la ligne 39, un Paysage & Jardin Concept ou quelque chose comme ça.
— Il me semble qu’il y a aussi Bio quelque part dans le nom.

En imaginant le grand-oncle Yosef, Maurice entrevit son grand-père Emmanuel. Il voulut vérifier la justesse du rapprochement.
Alors…
Sitôt Léa partie travailler au Pridami, talonnée par la nécessité, journée qu’elle poursuivra au Multi-Tissus où le plaisir du toucher lui offre une douce contrepartie, désormais Maurice lit les livres dont Léa lui a donné un aperçu le samedi précédent, et cela dès le lundi car il a abandonné ses rendez-vous de midi et quart après qu’il en eut oublié un, sans attendre que le disciple de Freud lui en propose une signification.


6 juin 2010

Léa et son double

— « Grâce à mes leçons, Léa avait progressé non seulement dans les études des auteurs et des textes littéraires, mais aussi en hébreu. Les parents de mon élève s’en étaient félicités, car l’hébreu est la langue des textes sacrés. Et le père de Léa m’écartait à présent avec ingratitude ! “Ne vous en déplaise, cher monsieur, pensais-je, votre fille n’oubliera pas le savoir que je lui ai transmis. Même loin de moi, elle continuera à penser à mes poèmes et conservera le souvenir de mon enseignement.” »
Maurice lit. Il ne lit pas très bien, il lit en essoufflé, il oublie le rôle des virgules et des points.
— C’est un peu toi, Léa, et….
— Elle s’appelle Léa, en effet, c’est une coïncidence, on ne peut rien conclure d’une coïncidence.
Léa a répondu sèchement à Maurice. Elle s’aperçoit qu’elle s’agace que Maurice prenne sa place alors qu’elle était convaincue que le jour où il sauterait le pas, elle sauterait de joie.
— Tu ne peux pas te débarrasser aussi facilement du contexte.
Quand Léa partage un moment de lecture avec Maurice, elle ne pioche pas au hasard dans le livre — choisi lui-même par quelque malice dans la bibliothèque — ce sont les phrases mêmes qui protestent pour gagner l’attention de Maurice. S’entendre lire à voix haute alors la surprend, elle ne se rappelle jamais en avoir décidé.
— Et puis cette Léa-là est déjà morte, à la fleur de l’âge, il est question ici de son souvenir.

4 juin 2010

À la fenêtre avec Bruno

En guise de résumé du premier trimestre en compagnie de Maurice & Léa,
depuis quelques semaines, chacune bien mesurée en sept temps (les cinq premiers de la même eau, en gros, le sabbatique et le dominical ayant leur caractère propre avec des accents plus marqués *), mais dont le tout est un tantinet trop erratique s’il s’agit de s’y retrouver dans le décompte des mois et des saisons, boulevard de la Fraternité, au 87, au septième étage sans ascenseur, vivent Maurice et Léa — et leur chat Ristourne —, parmi les livres dont Léa fait son miel qu’elle partage de-ci de-là avec Maurice, pourtant rétif depuis son âge scolaire à se laisser imposer des prescriptions.
— « Lorsque, de la fenêtre de ma chambre située très haut, je contemple la ville, les toits, les murs et les cheminées dans la lumière grisâtre d’une aube d’automne, tout ce paysage fourmillant de constructions, vu à vol d’oiseau et à peine démailloté de la nuit, lorsqu’il point dans sa pâleur vers les horizons jaunes, lacéré de stries lumineuses par les ciseaux noirs et ondulants des corneilles craillantes — je le sens, voilà la vie. »

Maurice et Léa regardent pas la fenêtre comme si c’était la toute première fois, un début.

* N.d.A. Pour s’imprégner de quelques exemples, se reporter à la suite des épisodes depuis le tout premier.

2 juin 2010

Ressemblances acrobatiques

— Tu te rappelles Maurice que Sara nous invite au cinéma ce soir ?
Maurice pense : « Quoi voir ? » ou plus précisément : « Quoi voir qui vaille la peine ? ».
Depuis qu’il a commencé l’écriture de son scénario, il n’est plus retourné au cinéma. Depuis qu’il vit avec Léa, il l’a toujours laissée aller avec Sara.
Maurice et Léa ne sont jamais allés au cinéma tous les deux.
Cette fois-ci, dans la mesure où il se laisserait convaincre, ce ne sera encore pas tous les deux, mais il y aura un léger mieux.
Maurice ne sait pas qu’il y a un nouveau Robin des Bois à l’affiche.
Maurice ne sait pas que Sara ne les invite pas à voir le nouveau Robin des Bois puisqu’il ignore qu’il y a un nouveau Robin des Bois, et puisqu’il ne peut y avoir qu’un seul Robin des Bois.
— Ah, c’est ce soir ?
Ce soir-là est un samedi soir. Léa referme Tristram Shandy, glisse en marque page la photo d’un Robert Walser jouvenceau, laissant pour la semaine prochaine les amours promises — et improbables — de l’oncle Tobie et de la veuve Tampon.

Au cinéma, malgré une cinéphilie de jeunesse des plus ardentes, Maurice n’a jamais retrouvé les émotions des films d’explorateurs (mis à part Errol Flynn, classé hors catégorie) où il entraînait son petit frère Alain au cinéma Le Crystral.
Sara explique à Léa, et à Maurice qui n’écoute pas, que ce serait dommage — elle ajoute lamentable — de rater la ressortie en copie restaurée de L’Acrobate de Jean-Daniel Pollet.
Sara trouve que le personnage principal ressemble à Maurice. Léa ne trouve pas, pas du tout, à part les qualités de danseur, qui la valse, qui le tango. Elle est vexée.
— Ah oui c’est vrai, Maurice ressemble un peu plus à Errol Flynn, dit Sara qui ne sait pas toujours retenir sa langue, on ne la changera pas.