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19 juillet 2010

Une vieille connaissance

Sara est venue au 87 boulevard de la Fraternité.
C’est rare.
Elle n’est pas sûre d’y être à sa place.
Elle est venue accompagnée.
C’est encore plus rare.
D’un vieillard.
C’est bien la première fois.
Ce vieillard n’est pas un inconnu pour Léa. Elle interroge sa mémoire, en vain. Son trouble est visible. Devant son embarras, le vieillard lui dit « Maupassant » en lui claquant deux bises, de celles qu’on dispense aux petites filles.
C’est bien la première fois que Sara se remet avec une vieille connaissance. Il ne ressemble plus du tout à Maupassant mais Maupassant ne devint jamais vieux, bien qu’il vieillît — ou se décomposât — avant l’âge.
À l’époque, pour Léa, 15 ans, ressembler à Maupassant signifiait force virile et verve intellectuelle.
Aujourd’hui, aux yeux de Léa, l’homme qui accompagne Sara rajeunit un peu plus vite à chaque seconde.
L’ancien vieillard examine la bibliothèque en connaisseur, ses lunettes sur le front se targuant, dirait-on, d’avoir une longueur d’avance.
— Ah, tiens ! Mes bibliothèques ! Chalamov.
Maurice et Léa se retournent. Sara papouille Ristourne.
— « Stefan Zweig dit que les livres sont un “monde disparate et dangereux”. Nul ne contestera la justesse de cette définition. J’ajouterai que les livres, c’est aussi un monde qui ne nous trahit jamais. Notre âge nous dicte nos goûts, il limite et focalise notre perception. Selon différentes époques de notre vie, nous cherchons et nous trouvons des choses différentes dans le même roman. Je sais très précisément ce que je cherchais dans Mont-Oriol de Maupassant à dix ans, à quinze, à vingt, à quarante et à cinquante. »