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26 avril 2010

L’entremise de Jean-Pierre Léaud

La bibliothèque du 87 boulevard de la Fraternité était riche de romans russes. Léa avait lu d’abondance cette littérature entre ses treize et dix-sept ans après que Sara lui mit Premier amour de Tourgueniev entre les mains. Ça la faisait rire, Sara, car elle n’en était plus à son premier, largement, celui qui ressemblait à Petit ours brun, selon Léa, à Jean-Pierre Léaud, selon elle (ils avaient l’âge d’Antoine et de Colette dans Antoine et Colette). Dans ses souvenirs, elle l’appelle Antoine et il ressemble trait pour trait à Jean-Pierre Léaud, celui des Deux Anglaises et le continent, romantisme oblige. Pour autant elle ne l’appelle pas Alphonse.
— « L’abondance des pensées empêchait Roudine de parler avec précision et netteté. Les images chevauchaient les unes et les autres ; les comparaisons, imprévues, audacieuses, étonnamment vraies, naissaient les unes des autres. Et cette improvisation impatiente ne sentait pas l’effort d’un rhéteur expérimenté, elle était inspirée. Roudine ne cherchait point ses mots : ils venaient librement, soumis, et chacun d’eux semblait jaillir de l’âme elle-même, brûlant de ce secret suprême : la musique de l’éloquence. Il savait, en frappant uniquement sur les fibres du cœur, faire vibrer confusément toutes les autres. On comprenait peut-être mal ce qu’il disait, mais la poitrine se dilatait, des voiles se soulevaient devant les yeux, et des lumières resplendissaient devant soi. »
Léa oubliait la description de Tourgueniev — Un homme entra, âgé de trente-cinq ans environ : de haute taille, un peu voûté, les cheveux crépus, le visage basané, il avait les traits irréguliers, mais expressifs et intelligents, avec un pâle éclat dans ses yeux vifs et bleus, un nez large et droit et des lèvres rouges bien dessinées. Il portait un vêtement usagé et étroit, comme devenu trop petit pour lui. — pour se représenter Roudine en Jean-Pierre Léaud. Maurice, qui ne la connaissait pas, y voyait Alain. Pas exactement celui que nous avons rencontré qui voyage entre l’hôtel de la Girafe et l’hôtel de la Girafe, bien sûr. Pas celui avec qui il se serait battu. Pas celui qui rit de Robert Walser.
Après lui avoir offert le rôle vedette dans son film, cette idée finirait-elle de le réconcilier avec son frère ?